Cela fait maintenant plus d’une heure que nous sommes bringuebalés dans le pick-up. La chaussée est partout défoncée, impossible d’aller à plus de 5 kilomètres par heure sur cette portion d’une dizaine de kilomètres qui joint péniblement l’asphalte de la civilisation au village de Ruqi.
Nous apercevons enfin ce que nous appelons vulgairement entre nous des yourtes. Il s’agit d’espèces d’igloos faits d’un savant amoncellement de tissus récupérés. A Ruqi, personne n’a jamais vu de glace. Quelques instants après, nous sommes à l’entrée du village. Nos deux véhicules s’arrêtent et les moteurs s’endorment, soulagés de cette route impitoyable. On nous invite à entrer dans la première maison. Nous nous déchaussons à l’entrée comme le font nos hôtes. Nos grosses chaussures de marches détonnent avec les sandalettes de nos convives. Nous nous asseyons sur de larges coussins recouverts d’une étoffe soigneusement travaillée d’un pourpre sang.
Un homme âgé, probablement le propriétaire des lieux, nous apporte deux grands plats circulaires, l’un de riz, l’autre de dromadaire famélique bouilli. Nous observons timidement la façon dont les somaliens substituent leur main droite aux couverts dont les quatre derniers siècles nous ont encombrés. Le geste est précis, méthodique, réfléchi. Tout le contraire de ce que nous tentons gauchement de faire. Le repas terminé, ce sont les femmes qui nettoient les reliefs de notre festin.
Après avoir satisfait nos papilles, nous commençons nos interviews. Entre deux questionnaires, nous prenons le temps d’observer ce qui nous entoure. La chaleur est accablante. Le moindre geste requiert une énergie insoupçonnée. L’eau est rare et précieuse si bien que nous raclons notre gosier tari pour soulager un peu la soif. Ruqi est un village comme jamais je n’aurais imaginé qu’il en existât un. La vie est organisée autour d’une vaste place dont les bourrasques de vent soulèvent des nuages de poussière acre. A Ruqi, toutes les gorges sont sèches. Sur cette place trônent les deux sacro-saintes institutions intimement liées ; l’école et la mosquée. Les habitations encerclent ce centre spirituel de manière à le protéger d’on ne sait quoi. L’aridité étouffante assomme les chiens qui s’affalent, épuisés, à l’ombre faussement rafraichissante d’un arbuste épineux. Une question me taraude : comment les femmes, même dévotes, peuvent-elles supporter le tchador local que la Charia en maîtresse des lieux impose systématiquement, alors que nous nous liquéfions littéralement sous nos t-shirts légers ?
A mesure que nous errons en ce lieu hors du temps, le ciel se charge de cumulus lourds et menaçants, l’horizon devient obscur et le vent se lève un peu plus encore, comme s’il incombait à la nature le devoir de chasser les étrangers que nous sommes. On s’attendrait presque à ce qu’Henri Fonda fasse son entrée, le Colt à la ceinture et la chique aux lèvres. Finalement, la pluie chaude venue du golfe d’Aden vient perturber ce faux air de western. Nous nous réfugions sous le parvis en tôle ondulée de la petite épicerie. Au fur et à mesure que l’eau providentielle s’abat sur Ruqi, les villageois s’approchent pour partager notre abri. Ils sont trempés jusqu’aux os mais leur démarche est lente et sûre. A Ruqi, on ne se plaint pas.
V.
quelle joie de vivre à distance et avec une telle qualité d’écriture vos découvertes. Un monde bien lointain…. et pourtant
le Somaliland tant décrié par les parents apporte son lot d’expérience forte.
je vous embrasse, faites attention à vous
so
J’aimeJ’aime
Dur mats beau
J’aimeJ’aime
Vous êtes courageux car votre vie française ne vous préparait pas vraiment à ces moments heureusement vous formez un groupe motivé
Mes pensées vous accompagnent
J’aimeJ’aime
Très bien écrit, vraiment intéressant et si dépaysant !
En attente de la suite… 🙂
J’aimeJ’aime
La plume de Popeye.
J’aimeJ’aime
Bravo pour ce premier contact avec les terres arides de Somalie. Bravo pour votre courage,votre endurance et l’enthousiasme de votre jeunesse. Vous voilà sur la piste des grands explorateurs du passé . Nos compliments pour ces très belles photos et pour le texte très agréable à lire . On s’inscrit pour la suite .
Henri etAlice
J’aimeJ’aime
Quelle plume Victor ! je suis inquiet pour les 3 autres quand il va falloir prendre la relève. En tous les cas, on se régale du dépaysement. Fred
J’aimeJ’aime
passionnant! ces lignes nous dépaysent et nous ouvrent les yeux. Merci, Laure Vld
J’aimeJ’aime
Hâte de lire les articles de Merde « Moi je voulais jouer au foot mais Victor a dit que c’était pas respectueux de jouer ici donc j’ai juste attendu et il faisait trop chaud. Sinon ça va, les gens sont gentils et on rigole bien et on travaille beaucoup. Salut! »
J’aimeJ’aime
Je vous suis pas à pas ,et je raffole de ce moment de lecture …Bravo Victor ,tu es digne de Romain Gary ,décrivant ces terres dans les années 70 !
Bravo mais faites attention à vous …et particulièrement à toi Victor !!
Bises
Marie claude
J’aimeJ’aime
Bravo et merci pour ses reportages. On y apprend beaucoup. Continuez
J’aimeJ’aime
Article très, très intéressant. Pensées proches. Manine
J’aimeJ’aime